Le 31 mai dernier, le journal Les Echos publiait un article co-signé par Marie Lacroix et Gaëtan de Lavilléon, sous le titre « Télétravail : sommes-nous allés trop loin ? »
Depuis quelques semaines déjà, voire quelques mois, le sujet fait débat et interroge tout autant les employeurs que les employés.
Mars 2020, le monde s’arrête… tous, à travers la planète, nous retrouvons confinés et limités dans nos contacts physiques, tant personnels que professionnels.
Au-delà de l’effet de surprise et de ces mesures inédites, il faut donc s’adapter pour poursuivre, pour produire, pour échanger, pour vivre.
Comme une évidence, le télétravail s’impose, se généralise et devient la norme, partout où c’est possible. Ce faisant, nous scindons le monde du travail en deux : ceux qui restent chez eux et s’organisent et ceux qui font comme avant, retournant dans les usines, les ateliers, les rayons, les labos, les entrepôts, les hôpitaux, etc…
Beaucoup se réjouissent. D’autres doutent. Certains, en silence, souffrent…
Trois années se sont écoulées ainsi, dont près de deux sans contraintes sanitaires… Mais, peu ou prou, les choses sont restées en l’état. Le télétravail est devenu une norme organisationnelle structurelle lorsqu’il a été d’abord une norme pour une réponse conjoncturelle.
Place désormais aux observations, aux analyses, parfois aux conclusions, souvent hâtives. Et, comme bien souvent, le manichéisme s’impose : on est pour ou on est contre… Les réponses doivent être plus subtiles que cela.
Notre métier de Conseils en Recrutements nous permet d’échanger avec de nombreuses personnes, DG, DRH, Managers de nombreux secteurs. Ce sujet est un des facteurs essentiels des organisations au sein des entreprises, donc, très souvent, un des éléments-clés des discussions.
Quelques-unes de nos observations, analyses et réflexions :
- Le décalage entre les grandes métropoles et les autres : le télétravail permet d’éviter les contraintes fortes des transports, apaisant ainsi de nombreuses journées de travail. La problématique ne se pose pas de manière aussi forte en dehors de ces zones.
- Les différences en fonction de la taille des entreprises : la direction des statistiques du ministère du travail observe que la fréquence du télétravail augmente en fonction de la taille de l’entreprise. Plus « proches » de leurs collaborateurs, les chefs d’entreprises PME/PMI, voire ETI, sont certainement plus sensibles à la notion de « cohésion sociale », d’égalité de traitement, de solidarité au sein des équipes.
- Secteur tertiaire et secteur secondaire, et évidemment primaire : pour ces deux derniers, il est inenvisageable, évidemment, de ne pas être « sur le poste de travail »… Et c’est là que se pose le sujet de l’égalité du traitement, avec des chefs d’entreprises et managers de PMI/ETI qui disent ne pas souhaiter avoir des équipes sur des chantiers, sur les lignes de production, en laboratoire, etc… « quand d’autres traiteraient les dossiers de ces mêmes projets depuis leur canapé »…
- « job de production » et « job de création » : de nombreuses études montrent que nous sommes tous, avec des parts différentes selon nos métiers, à la fois dans des « jobs de production » (on déroule et on aboutit à un « livrable » concret) et dans un « job de création » (réflexion, partage avec les autres, idées soumises, conseils informels, etc…). Dans le premier cas, incontestablement et la plupart du temps, le télétravail améliore la qualité et le rendement. Dans le deuxième cas, le télétravail est très défavorable et supprime presque entièrement cet « apport » du « être ensemble » (une étude menée à Stanford montre que « les outils de communication à distance ont un impact négatif sur la capacité de divergence et de créativité des équipes »). On pourrait considérer que la solution est évidente : on organise notre temps de travail en télétravail pour la « production » et du « présentiel » pour la création ». Sauf qu’il est strictement impossible de segmenter et de compartimenter !…
- Le télétravail change le rapport au travail : beaucoup de DRH constatent, en relayant les observations de leurs collègues Managers que le « distanciel se transforme et se confond avec la distanciation à l’égard du travail »… Nombreux sont les témoignages qui décrivent des « pertes d’heures, des pertes de « production », des dossiers qui sortent moins vite, des manques d’accompagnement entrainant une baisse également de la qualité des dossiers livrés »… En schématisant, on peut observer deux attitudes des collaborateurs au télétravail : ceux qui « ne décrochent plus » et qui vont travailler plus, sans pause, sans intéraction sociale, sans limite d’heures, puisque tous les outils permettent cela. Et puis, à l’inverse, ceux qui vont s’impliquer moins, qui vont se laisser distraire, faire autre chose, confondre les tâches personnelles et celles professionnelles…
- Des troubles psychologiques plus importants : Marie Lacroix et Gaëtan de Lavilléon parlent du cerveau comme « d’un organe social », « un organe social qui se nourrit des informations en provenance d’autrui pour construire sa représentation et sa compréhension du monde ». Et, même si la communication distancielle existe, elle n’aura jamais la force du contact, du lien, de l’échange, réels. Marc Dugain, dans un de ses derniers ouvrages, parlent de ce « besoin d’altérité » qui n’est plus comblé par ces nouvelles formes de communication, de relations.
Ce sujet apparaît sans fin. Il y aura encore beaucoup d’études, d’observations et d’analyses.
Et, après un « tout télétravail », on voit arriver un véritable retour en arrière, poussé par des dirigeants médiatiques mais aussi par des chefs d’entreprises au contact direct de leurs équipes.
Tous ces grands mouvements de balanciers sont à proscrire, ils peuvent être négatifs. Ils oublient que les généralités sont dangereuses, que chaque cas peut être unique et doit être étudié comme tel.
Et c’est bien là que la complexité du travail des managers et des DRH va augmenter !…Comment trouver le « bon équilibre » ?… Comment concilier la vision et les souhaits du « jeune cadre » avec celui du travail en équipe et de sa cohésion nécessaire ?… Comment attirer les nouveaux entrants sur le marché du travail avec ce qu’ils jugent souvent comme une « organisation archaïque du travail » ?…
Le chemin est complexe, mais tellement riche !